Mourir pour donner la vie

Divers

Enrico Petrillo a perdu en juin dernier son épouse Chiara, atteinte d’un cancer à l’âge de 28 ans.
Elle avait choisi de repousser autant que possible le début de son traitement pour donner naissance à Francesco, aujourd’hui âgé de 15 mois.
Une interview poignante sur un choix déchirant.

Choisir entre la vie de l’enfant et celle de la mère, quel dilemme⦠Avez-vous toujours été d’accord, votre épouse Chiara et vous, sur les décisions à prendre ?

Quand les médecins ont poussé Chiara à accoucher prématurément de Francesco pour commencer le traitement, j’étais partagé : je voulais que notre enfant puisse voir sa maman ; je voulais aussi que ma femme soit sauvée et puisse vivre. Donc, j’étais plutôt de l’avis des médecins. Mais Chiara s’y est opposée. Pour elle, c’était limpide : notre enfant devait avoir toutes ses chances de vivre. Ce n’est que plus tard que j’ai compris qu’elle avait raison.

Qu’est-ce qui a déterminé votre choix de ne pas suivre le traitement médical qui aurait peut-être sauvé Chiara, puisque l’Église vous laissait libre ?

Nous voulions préserver la vie de l’enfant qui nous était confié. En fait, nous n’avons pas eu de cas de conscience : la décision était évidente. Ce n’est pas nous qui donnons la vie, ce n’est pas à nous de l’enlever. Donc, ce n’était pas pour nous un choix, mais un chemin à parcourir que le Seigneur nous proposait. Nous l’avons parcouru.

Chiara a-t-elle connu la peur ?

Bien sûr. La peur de la souffrance, des nausées, de la douleur physique, etc. Mais en accueillant la grâce dans l’instant présent. Elle s’est montrée de plus en plus tendue vers les autres. Jusque dans ses derniers jours, elle confectionnait des cadeaux pour des amies malades. Je me souviens d’un sweat sur lequel elle avait brodé : « Courage, il faut bien que la nuit passe ». Chiara me faisait penser à Jésus qui monte à Jérusalem et dont le visage, devenu « dur comme la pierre », montrait la résolution de mener à bien sa mission. Elle ne permettait pas à ses pensées d’aller au-delà du présent.

Vous avez prié pour sa guérison, mais Chiara n’a pas été guérie. N’êtes-vous pas en colère contre Dieu ?

La veille de sa mort, Chiara a reçu de notre père spirituel une dernière eucharistie, une dernière communion avant la Communion. Je l’ai entendue prier ainsi : « Seigneur, tu peux me guérir, mais sinon prends-moi vite, s’il te plaît ». Elle a ajouté, peu avant de mourir : « Le Seigneur m’a exaucée ! » Le Seigneur nous a donné de voir plus loin, plus haut. Nous avons toujours senti sa main bienfaisante. Lorsqu’on me demande si je ne suis pas « fâché contre Dieu », je réponds : « Et toi, peux-tu m’aider ? ». Et j’ajoute : « C’est me fâcher contre Dieu qui aurait été le désespoir ».
Ce sentiment n’a jamais eu de place dans notre cœur. C’est le grand miracle de la présence de Dieu dans notre vie. Je suis émerveillé devant notre propre histoire. Si on m’avait dit, il y a quelques années, que j’allais vivre tant de beauté, jamais je ne l’aurais cru ! Ceux qui me disent « Dieu n’aurait pas dû le permettre » me font penser à Pierre, qui n’a rien compris lorsque Jésus lui annonce qu’il doit monter vers Jérusalem. Lorsque je vois ce Dieu attaché à la croix, l’idée de lui demander justice me fait un peu sourire

Vous avez lu durant les obsèques de Chiara des extraits d’une lettre rédigée une semaine avant sa mort à l’intention de votre fils Francesco. Ne lui était-elle pas réservée ?

Je n’ai lu que certains passages qui ne s’adressent pas seulement à Francesco. Plus les jours passent, plus je réalise que Chiara est en train d’engendrer de très nombreux enfants par une maternité spirituelle. Elle montre d’ailleurs qu’un couple peut avoir une fécondité même s’il ne peut avoir d’enfants biologiques.

Luc Adrian

écrit par , le jeudi 04 mai 2017